Cela fait un bail qu’on ne vous pas plus parlé de nos lectures personnelles par ici. Et le mois de janvier ayant été riche en découvertes littéraires, je me suis dit qu’un petit article dédié tomberait à point nommé. Une fois les « fêtes » de fin d’année passées, j’ai profité de la langueur des derniers jours de congé pour me plonger tête la première dans ma pile à lire, et jusqu’à présent, c’est un sans faute, puisqu’aucune des lectures dont je m’apprête à vous parler ne m’a déçue ! Au programme pour aujourd’hui, deux bandes-dessinées et trois romans, pratiquement exclusivement écrits par des femmes. Des histoires dont la question de la race et/ou la place des femmes dans la société est souvent abordée. Nous ne sommes qu’au début de l’année mais ça sent les coups de coeur de mon année 2021 à plein nez ! Affaire à suivre…
Chanson douce, Leïla Slimani
On démarre en douceur avec le deuxième roman de Leïla Slimani publié en 2016 aux éditions Gallimard. J’ai hésité à vous glisser ce roman parmi ma sélection de lectures, non pas parce qu’il m’avait déçu – que du contraire ! – mais parce qu’il me semblait avoir déjà lu et relu des tonnes de critiques sur la toile à ce propos. Et puis, je me suis dit que ma sélection ne serait pas totalement complète sans cet ouvrage, et qu’elle permettrait peut-être aux plus réfractaires et aux méconnaisseurs de Slimani de s’intéresser à son oeuvre. Alors, j’ajoute tout de même ma petite pierre à l’édifice, sait-on jamais…
C’est le premier livre vers lequel je me suis dirigée au début des vacances, et pour cause : j’avais besoin d’un livre « facile » dans lequel je puisse rapidement me laisser embarquer par l’intrigue. Pourtant, le sujet est tout sauf doux ou facile. Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide de reprendre son métier d’avocate, il devient indispensable d’engager une nounou. Si Louise semble de prime abord la perle rare dont le couple a absolument besoin, elle se révèle par la suite manipulatrice, et totalement toxique en commettant l’irréparable.
J’avais déjà lu Dans le jardin de l’ogre – son premier roman – ainsi que Le pays des autres – premier tome d’une saga familiale axée sur l’immigration d’une jeune française au Maroc. Je connaissais donc la plume acérée de l’autrice et sa grande maîtrise à tenir en haleine le lecteur jusque dans les dernières pages. Et c’est exactement ce que j’ai apprécié retrouver dans cet ouvrage. Leïla Slimani est implacable tant dans sa description du personnage énigmatique de Louise, que dans sa critique à peine voilée du jeune couple. À travers cette histoire, elle décortique les rapports au sein du couple, la confrontation des cultures, les préjugés de classe. Si j’avais apprécié le portrait sans pitié d’Adèle dans son premier roman, j’ai adoré les descriptions et le traitement des différentes psychologies des personnages de Chanson douce. Entre les deux romans, on sent que Leïla a pris de l’assurance en améliorant encore la précision de sa plume. Quant au rythme effréné de l’intrigue, j’ai dévoré le livre en moins de deux jours – connaissant ma rapidité de lecture légendaire, proche de l’escargot – ça veut dire beaucoup. Si vous ne connaissiez pas encore cette autrice, je vous recommande vivement de faire plus ample connaissance en vous penchant sur Chanson douce, vous apprécierez encore davantage aborder Le pays des autres par la suite !
Radium Girls, Cy.
Énorme coup de coeur pour cette BD publiée chez Glénat à la fin de l’été 2020. Vous en avez peut-être entendu parler, les Radium Girls, ce sont ces jeunes ouvrières américaines, qui dans les années vingt, ont travaillé pour des firmes horlogères en peignant au radium (!) les chiffres des montres militaires afin que les soldats puissent lire l’heure dans le noir. Cela s’est évidemment rapidement soldé par des conséquences désastreuses sur leur santé.
© 2020 Cy – Glénat
Cette BD a tout pour me plaire. J’adore les récits qui traitent de certains pans (parfois méconnus) de notre Histoire. Après ce genre de lecture, je peux passer des heures à me documenter sur le sujet traité, à apprendre quelques anecdotes, à discerner ce qui a été inventé pour nourrir l’intrigue de ce qu’il s’est réellement passé. Et dans le cas présent, je ne peux évidemment que me montrer curieuse et impressionnée par le combat de ces femmes qui ont décidé de ne pas se laisser faire, malgré le mépris apparent de la justice (et de la société en général) qui a tenté par tous les moyens de discréditer leurs témoignages en refusant d’assumer leur part de responsabilité. Et puis, j’adore les dessins relativement simples et naïfs, les tonalités joyeuses de rose, de vert et de mauve, ainsi que les traits crayonnés volontairement proéminents qui contrastent avec la gravité du sujet. Une véritable pépite que je vous invite à découvrir au plus vite !
Shuni, Naomi Fontaine
Si vous nous suivez assidûment ici ou sur Instagram, vous devez déjà avoir entendu parler de ce livre puisqu’il s’agissait de la recommandation de la libraire Ariane Herman, dans notre premier article sur les librairies indépendantes. À l’époque, les conseils d’Ariane m’avaient tellement touchée que je m’étais empressée d’ajouter l’ouvrage à ma pile à lire. Et puis l’automne est arrivé, et je n’ai pas pris le temps de me pencher dessus. Je suis désormais ravie d’avoir profité du calme de janvier pour y remédier.
C’est une oeuvre étonnante et passionnante pour toute personne s’intéressant aux chocs des cultures, aux préjugés, à la question de la (dé)colonisation et au phénomène d’acculturation. Dans de courtes lettres s’apparentant à des monologues, Naomi Fontaine, elle-même originaire d’une tribu innue, explique à son amie québécoise Julie, venue aider les peuples amérindiens, ce qu’elle s’apprête à vivre, ce qu’on lui dira et ce qu’on lui taira, des incompréhensions qui en découleront certainement…
J’ai trouvé la plume de l’autrice – pourtant très simple en apparence – particulièrement poétique. J’adore quand la sobriété de l’écriture sert la profondeur du propos. J’ai, par ailleurs, été un peu désarçonnée par certaines réflexions de Naomi sur certaines questions sociales, ainsi que sur la question de la parentalité et de la féminité. Mais c’est justement ce qui est intéressant dans ce genre de lecture : découvrir d’autres points de vue que le sien, apprécier l’opinion de l’autre sans la juger, comprendre et accepter qu’il y a parfois autant de points de vue et d’expériences vécues qu’il y a de vérités.
« Un jour, c’était l’hiver, je suis tombée sur la glace et j’ai eu un oeil au beurre noir. J’étais dans un piteux état. […] Même avec tous les fonds de teint de pharmacie, il était impossible de le camoufler entièrement. C’est resté visible durant un mois. Je travaillais à la maison. Chaque fois que je sortais, je faisais tout pour cacher cet affreux oeil au beurre noir. Ça m’accablait. Et malgré mes efforts pour paraître légère, je ne pouvais m’empêcher de scruter toutes les personnes que je rencontrais, persuadée qu’elles me dévisageraient. Lorsque ça arrivait, je faisais tout pour montrer que j’étais forte, ne pas me sentir humiliée par cette marque. Dans mon esprit, j’imaginais leurs murmures. Si j’avais été une femme blanche, j’aurais été cette pauvre fille battue. Ou empotée. Ou violente. J’aurais été une parmi d’autres à subir une relation malsaine avec son amoureux et on m’aurait plaint pour ça. Personne n’aurait été associé à mon malheur. Il aurait été unique, individuel. Mais je suis Innue.
Shuni, Naomi Fontaine (éditions Mémoire d’encrier)
Cette blessure sur mon visage n’était pas seulement la mienne, elle appartenait aussi à ma nation. Elle incarnait, et j’en étais aussi consciente que désolée, la blessure des Indiennes. Plutôt, celle de tous les préjugés vis-à-vis des femmes autochtones disparues et assassinées. Dans le meilleur des cas, mon oeil confirmait que nous, les femmes innues, étions des victimes. Dans les pires jugements, nous étions violentes, agressives, jusqu’à nous battre dans les bars ou dans la rue. Sans savoir-vivre. Comme j’ai eu honte de moi, Shuni. Rarement, les gens me perçoivent comme un individu unique. Dans un groupe, on ne m’appelle pas par mon nom. On dira l’Indienne, l’Innue, l’Autochtone. Si je tombe, c’est tous les autres qui tombent avec moi. Si je me tiens debout, ils sauront que nous sommes résistants. Ce n’est pas de la vanité. C’est le mur où les préjugés nous ont acculés. Et il faudra du temps, de l’espace, de la connaissance pour s’en libérer. »
Blanc autour, Wilfrid Lupano et Stéphane Fert
Voici une autre BD que j’ai littéralement adoré en ce début d’année. Blanc autour m’a été directement conseillée par nulle autre que Coco. C’est qu’elle connaît bien mes goûts. Le scénario est signé par Wilfrid Lupano – à l’origine de la série géniale Les Vieux Fourneaux – et les dessins, qui donnent toute leur force au récit, sont de Stéphane Fert.
Encore une BD, et encore une histoire qui se base sur un fait historique. Et pas des moindres, puisque ce duo nous plonge directement à Canterbury, petite ville au nord des États-Unis, durant la première moitié du XIXème siècle, à un moment de l’Histoire où les Noirs sont certes libres dans certains états mais ne disposent d’aucun droit civil. Dans ce contexte, Prudence Crandall, jeune institutrice décide d’accueillir et de former une jeune fille noire, Sarah. Évidemment, les habitants de Canterbury, inquiets par les avancées du combat abolitionniste et donc par la potentielle diminution de leurs privilèges, voient cet événement d’un très mauvais oeil et tentent par tous les moyens de mettre des bâtons dans les roues dans la jeune institutrice. Prudence, loin d’être démoralisée, se rend compte de l’importance de son rôle dans l’émancipation de ces jeunes filles et décide que dorénavant, son école ne sera réservée qu’aux jeunes noires exclusivement.

© 2021 LUPANO – FERT – DARGAUD BENELUX (Dargaud Lombard s.a.)
Une BD d’une grande intelligence qui, tout en mettant en lumière les grands problèmes raciaux qui ont traversé (et traversent encore !) les États-Unis, permet de poser une question essentielle : se battre avec les mêmes armes que les Blancs a-t-il du sens ? Quand l’accès à la culture et au savoir n’est dicté que par les dominants, peut-on espérer une amélioration des conditions ? Et puis, espérer une reconnaissance par les Blancs et répondre à des critères culturels dictés par ceux-ci, a-t-il du sens ? Une belle réflexion qui pourra être étayée pour les plus férus d’Histoire par une postface assez complète détaillant les destins atypiques de ces quelques femmes que l’Histoire a préféré oublier…
Beloved, Toni Morrison
On termine cette sélection lecture avec un classique qui aborde également la traite des esclaves noirs en Amérique (décidément !), puisqu’il s’agit de Beloved, écrit par Toni Morrison en 1987. Ce livre a été ardemment salué par la critique en obtenant le Prix Pullitzer l’année suivant sa sortie. Résumer cet ouvrage relève presque du challenge, tant le récit est éclaté. En effet, la trame narrative est tout sauf linéaire, et les incursions entre passé lointain, passé proche et présent sont imbriquées les unes dans les autres, parfois même au sein d’un même paragraphe.
Cependant, pour remettre les choses en contexte, je peux au moins vous dire ceci : l’histoire, qui est inspirée d’un fait divers macabre survenu en 1856, se déroule dans la petite ville de Cincinnati aux États-Unis. Sethe, une jeune esclave, est parvenue à s’échapper de son calvaire pour se réfugier dans l’Ohio, un état libre à l’époque. Cependant, rattrapée par ses bourreaux, elle tue sa petite fille, convaincue que la mort sera un sort plus enviable qu’une vie d’asservissement. Quelques années plus tard, alors qu’elle tente de refaire sa vie, Beloved, l’enfant défunte revient la hanter.
La grande force de ce livre est également ce qui rend sa lecture peu aisée : afin de raconter l’indicible réalité de l’esclavage, mais aussi la monstruosité de l’infanticide, Toni Morrison prend le parti de jouer avec les ellipses, les analepses et les non-dits. Le récit se reconstruit, petit à petit, à coup de flash-backs successifs qui permettent au lecteur de reconstituer le fil de l’histoire. Et cela fonctionne à merveille ! Finalement, la littérature, c’est comme le cinéma : ce qui choque le plus, ce qui marque le plus, ce qui effraie le plus, ce n’est pas ce qu’on nous montre, c’est ce qu’on nous dévoile à demi-mot et qu’on imagine nous-même. Un roman dur mais brillant, comme on en lit rarement !
Sur ce, je vous laisse, je file rejoindre mon plaid, mon thé et mon nouveau livre en cours. Je ne vous en dis pas plus, si l’ouvrage est aussi bon que tous ceux cités ci-dessus, il y a fort à parier que vous le retrouverez dans un prochain article ! 😉 En attendant, j’espère que cette petite sélection vous aura donné quelques envies de nouvelles lectures. Si c’est le cas, ou si vous avez, vous aussi, lu l’un de ces livres, venez en discuter avec nous en commentaire ou sur les réseaux sociaux.
Livresquement vôtre,
Charlie
Je te rejoins sans hésitation sur Chanson douce et les deux BD que j’ai aussi adorés! De Naomi Fontaine je garde un bon souvenir de Manikanetish et Shuni est sur ma liste. Par contre je suis passée à côté de Beloved, trop confus à mon goût.
Oui, je comprends, j’ai eu du mal à rentrer dedans au tout début. Mais finalement, je me suis laissée porter ces fragments d’histoire!
La belle sélection ! 💓
Radium Girls me fait de l’oeil et je garde un bon souvenir du Slimani.
Quant à Beloved, je compte bien le découvrir cette année.
Hâte d’avoir ton retour quand tu te seras penchée sur ces pépites 😉