Depuis de nombreuses années, l’été est la saison la plus propice à la diminution de ma pile à lire. Si je ne peux que difficilement m’empêcher d’acheter un livre dès que je passe la porte d’une librairie, je m’impose désormais une règle : l’interdiction d’acheter un nouveau roman pour partir en vacances.
Et au vu des pépites qui attendent sagement, parfois depuis plusieurs années, je n’ai que très peu de mal à y piocher mes lectures estivales… voyez plutôt !
Là où chantent les écrevisses de Delia Owens
Au tout début de l’été, j’ai profité des longues et chaudes soirées pour m’évader dans la fraîcheur du marais. En quelques pages, la plume de Delia Owens m’a transportée en Caroline du Nord dans les étendues marécageuses, à la recherche des hérons majestueux et des grenouilles facétieuses. Et, surtout, à la découverte de Kya, la mystérieuse fille du marais, qu’on suit, à travers la nature, dans son passage de l’enfance à l’adolescence.
Kya naît au sein d’une famille pauvre et dysfonctionnelle, qui a tôt fait de se déliter. Loin du long fleuve tranquille, ses premières années s’assimilent plutôt à une rivière aussi tortueuse qu’accidentée.
Abandonnée de tous, elle grandit en marge de la société, tirant ses plus grands enseignements de la nature et tentant de survivre tant bien que mal. Une existence calme et discrète, rythmée par les saisons et les caprices du marais. Jusqu’au jour où un drame survient dans la tourbière : un jeune homme est retrouvé mort…
Là où chantent les écrevisses, avec ses temporalités qui s’entremêlent, est un véritable page turner aux accents de nature writing sur fond d’enquête policière. Je l’ai dévoré en une semaine, tout en me réfrénant à plusieurs reprises pour ne pas quitter trop tôt ses personnages absolument attendrissants et cette nature si singulière. Un véritable coup de cœur qui m’a tôt fait comprendre l’engouement général autour de ce titre de Delia Owens, écrivaine et zoologiste américaine.
Céleste de Chloé Cruchaudet

Nous vous avions déjà parlé des œuvres de Chloé Cruchaudet dont la poésie et la force nous transportent à chaque parution. Avec Céleste, elle remet le couvert. Et quel couvert !
Dans la première partie du diptyque, on découvre Céleste Albaret, une jeune femme singulière qui peine à trouver un travail. C’est qu’elle ne maîtrise aucun des talents qui incombent à son sexe à l’époque, qu’il s’agisse du ménage ou de la cuisine. Tout juste arrivée à Paris de sa campagne profonde, elle découvre, avec une gourmandise timorée, les grandeurs de la ville lumière. Si Odilon, son mari, s’avère bien intégré grâce à son métier de chauffeur de taxi, Céleste a grand mal à se fondre parmi les parisiens bruyants.
Jusqu’au jour où elle fait la rencontre de Monsieur Proust. Pour ce dandy hypocondriaque et extrêmement materné, aucune excentricité n’est superflue tant qu’elle soutient et nourrit sa création.
Ne possédant aucun code de cette société, Céleste fait contre mauvaise fortune bon cœur. Plus que tout, elle souhaite se rendre utile. Dès lors, c’est décidé : elle sera la coursière de l’écrivain.
De l’apprentissage de l’usage d’un téléphone aux affres de la livraison des manuscrits, elle apprivoise tant bien que mal ses maladresses. Si bien que, très vite, l’ingénue devient indispensable à la création de Monsieur Proust, alors aux prémisses de son grand œuvre : À la recherche du temps perdu.
Publié à l’occasion du centenaire de la mort de l’écrivain, Céleste convaincra même les plus réfractaires aux phrases kilométriques de l’auteur de renom. Car Chloé Cruchaudet dépeint avec maestria les différentes facettes de cet homme de lettres névrosé tout en mettant en lumière la femme de l’ombre qui le portait dans sa course au succès. Loin de la biographie traditionnelle ou de l’adaptation proustienne, on découvre deux portraits en miroir, sublimés par le trait évanescent et les couleurs oniriques d’une autrice qui n’a de cesse de nous éblouir.



Belle Greene d’Alexandra Lapierre
Belle Greener est une talentueuse jeune femme, passionnée par la littérature et les livres rares. Une femme pleine d’esprit qui pourrait être promise à de grandes choses malgré la toute puissance patriarcale du début du XXe siècle. Si et seulement si.
Dans le New York de 1900, la ségrégation raciale sévit encore, suivant la loi de l’unique goutte de sang. Ainsi, toute personne qui compte un ancêtre Noir dans sa généalogie est considérée comme telle, même si elle est claire de peau.
Pour les familles métisses comme celle de Belle, la tentation de passer la terrible barrière de la couleur est grande. Une volonté d’appartenir à la société qui opprime leur propre peuple incompréhensible pour beaucoup. Et pourtant. Devenir blanche, pour Belle, c’est toucher du doigt la possibilité de rejoindre les hautes sphères de l’intelligentsia new-yorkaise. Et ainsi intégrer la plus prestigieuse bibliothèque du pays…
Alexandra Lapierre, après trois années de recherches, met en lumière le destin inouï de cette femme bibliophile résolument moderne et nous emmène dans les coulisses des plus grandes bibliothèques de l’époque. Tout au long de notre lecture, on vibre aux côtés de Belle. Au vu de la menace qui plane sur sa famille et leur secret, bien sûr. Mais également dans sa course folle vers les hautes sphères de la littérature, dépassant une double condition : celle d’une femme noire au début du XXe siècle.
Un tout grand coup de cœur, tant pour la modernité et la force de caractère de cette femme méconnue que pour la plongée historique dans les salles de vente de livres précieux.
Le Ladies football club de Stefano Massini

Pour Stefano Massini, auteur italien qui avait réussi l’exploit de rendre romanesque le capitalisme dans son remarqué Les Frères Lehman (2018), l’histoire commence en avril 1917. Les femmes participent à l’effort de guerre en fabriquant des munitions. Pendant une pause déjeuner dans une usine de Sheffield, l’une d’elles aperçoit un objet rond et s’en va donner un grand coup de pied dedans. Aussitôt, les collègues de la jeune ouvrière se précipitent dans la cour pour taper à leur tour dans ce qui ressemble à un ballon. Elles ignorent que l’objet sphérique est un prototype de bombe qui, par miracle, n’explosera pas.
Dès le lendemain, puis les jours suivants, les ouvrières prirent l’habitude de jouer au ballon avec le pied, au mépris des conventions qui ne voient le football que comme une activité masculine. Le « Ladies football club » était né.
A travers le portrait en vers libres des onze jeunes femmes qui vont constituer l’équipe de l’usine, Stefano Massini écrit l’histoire du football féminin, né de l’absence des hommes envoyés au front. Né aussi d’une volonté des femmes non pas de les imiter mais de s’approprier les domaines qu’on leur à jusqu’alors interdit. L’épopée du Ladies Football Club connaitra des débuts modestes, obligé d’affronter des enfants, des infirmes ou des vieillards mais les conduira, au fil des victoires et de l’enthousiasme grandissant du public, à affronter une équipe professionnelle dans un stade comble devant une foule en liesse. Un phénomène auquel ces messieurs mettront fin par jalousie, par pure autorité, par crainte de voir leurs femmes et leurs filles ne plus correspondre au modèle patriarcal bien installé.
Ladies Football Club met en lumière onze femmes qui s’affirment, possédant chacune ses raisons de courir – humiliations, paternalisme, socialisme – mais toutes unie pour l’amour du jeu, de la révolte et de la liberté. Et si l’écriture en vers libres peut déstabiliser de prime abord, on retrouve très vite une fluidité de lecture.
J’espère que mes lectures estivales aux accents féministes vous inspireront pour vos échappées livresques de cet automne, lovés dans le canapé.
Livresquement vôtre,
Coco