Découvrir la littérature québécoise en 10 ouvrages

De l’autre côté de l’Atlantique, chaque année, le 12 août est synonyme de promotion des auteurs locaux. En effet, l’action « Le 12 août, j’achète un livre québécois », mise en place en 2014, ne cesse de faire des émules et permet de (re)découvrir les grands classiques mais aussi les dernières nouveautés de cette splendide province !

Longtemps considérée comme une sous-littérature exempte de réelle identité, c’est seulement depuis la seconde moitié du vingtième siècle que la littérature québécoise a progressivement acquis ses lettres de noblesse. Bien loin de vouloir imiter les grands auteurs de la métropole parisienne, elle s’est depuis forgée une voix singulière à l’image des thématiques chères aux cœurs des québécois.

On s’est donc dit que ce début de mois d’août, souvent propice aux longues après-midis de lecture, serait l’occasion parfaite de vous faire (re)découvrir la richesse de cette belle littérature !

Shuni de Naomi Fontaine

Naomi Fontaine, autrice innue, écrit de longues lettres à son amie Julie, jeune québécoise partie travailler dans le social auprès des communautés amérindiennes. Dans ses lettres, Naomi lui raconte l’histoire du peuple innu avec amour, passion et dignité, mais décrit également ce qu’elle va vivre, ce que l’on va penser d’elle, ce qu’elle va penser d’eux et des incompréhensions qui en découleront certainement. Elle convoque l’Histoire. Surgissent les visages de la mère, du père, de la grand-mère. Elle en profite pour s’adresser à Petit ours, son fils. Les paysages de Uashat défilent, fragmentés, radieux. Elle raconte le doute qui mine le cœur des colonisés, l’impossible combat d’être soi. Shuni, cette lettre fragile et tendre, dit la force d’inventer l’avenir, la lumière de la vérité. La vie est un cercle où tout recommence.

Paul de Michel Rabagliati

Une fois n’est pas coutume, pour cette fois, nous ne vous conseillons pas un livre en particulier, mais le cycle complet des bandes-dessinées Paul créées par Michel Rabagliati, tant elles forment un tout cohérent et que l’on serait bien en peine de devoir en sélectionner un seul. Dans cette série, qui comporte dix albums, chaque tome s’étale sur une bonne centaine de pages, et il n’est pas nécessaire de suivre un ordre particulier pour les lire : à chaque album, son histoire et ses thématiques. On retrouve successivement les colonies de vacances dans Paul a un travail d’été, le deuil dans Paul à Québec, ou encore le chômage et la fausse couche dans Paul à la pêche. Rabagliati décrit avec finesse les subtilités des relations humaines et brosse de façon touchante les petites et grandes étapes de la vie. Il parvient à émouvoir sans tomber dans le sentimentalisme, et à amuser sans avoir recours à un humour pesant. Il dépeint la vie montréalaise avec une justesse surprenante. Au-delà du récit personnel de Paul, c’est l’histoire d’une génération québécoise qui nous est contée, des années soixante à nos jours. Cette série constitue d’ailleurs un bon préambule si vous prévoyez de vous rendre pour la première fois au Québec. Elle vous donnera une bonne idée de l’histoire de cette région, des relations humaines, des paysages locaux, mais aussi de la langue.

Volkswagen Blues de Jacques Poulin

Bien connu des amateurs de livres d’Outremer, Jacques Poulin a publié à ce jour une bonne dizaine d’ouvrages. S’il ne fallait en lire qu’un, ce serait définitivement celui-ci ; pour la beauté des paysages décrits – qui raviveront bien des souvenirs à tous les voyageurs ayant un jour fait halte en Amérique du nord – pour la quête identitaire qu’il propose, pour la douceur et la tendresse qui s’en échappe. Véritable bible en matière de récit de voyage, cet ouvrage, publié en 1984, retrace le parcours de Jack Waterman, nom de plume du héros écrivain en panne d’inspiration, qui décide de partir à la recherche de son frère Théo, disparu il y a quinze ou vingt ans. Sur son trajet, de la Gaspésie à la Californie, il prend en auto-stop une jeune métisse, la Grande Sauterelle, et son chat. Tous deux vont vivre une sorte de Road movie en traversant l’Amérique du Nord, depuis le Saint-Laurent, en passant par les Rocheuses, jusqu’à la baie de San Francisco, tout en se rapprochant au gré de leurs sentiments.

L’Année la plus longue de Daniel Grenier

Premier roman d’un jeune auteur empruntant avec beaucoup d’ambition la veine historique et fantastique, L’Année la plus longue sonde avec enthousiasme les siècles ainsi que le territoire américain. Thomas Langlois, né comme son aïeul Aimé Bolduc une année bissextile, ne fête son anniversaire qu’une année sur quatre. Mais est-il pour autant, comme l’espère vivement son père, promis au même destin que son ancêtre qui, lui, ne vieillissait que d’une année tous les quatre ans ? En suivant les vies de ces deux personnages d’exception, L’année la plus longue traverse, de Chattanooga à Montréal, des Great Smokies aux monts Chic-Chocs, près de trois siècles d’Histoire de l’Amérique. De la prise de Québec par les Britanniques en 1760 au 11 septembre 2001, de la capitulation des Indiens au combat des Noirs américains, c’est l’âme du continent tout entier qui s’invite et s’anime dans cette fresque épique et familiale. Ce premier roman, œuvre d’un immense conteur, réussit le pari fou de nous plonger au cœur de la grande Histoire et, au-delà, de nous en peindre mille et une autres. Une œuvre solide et envoûtante.

Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy

Si vous n’avez aucun contact avec la culture québécoise, peut-être que ce nom ne vous évoquera rien. Et pourtant cette autrice figure parmi les plus reconnues de l’autre côté de l’Atlantique. Gabrielle Roy, née en 1909 et décédée en 1983, est une romancière franco-manitobaine. Institutrice de formation reconvertie en journaliste, rien ne la prédestinait à devenir l’une des plus importantes figures de la littérature canadienne. En 1945, elle connaît un succès fulgurant après la publication de Bonheur d’occasion, un roman qui brosse le portrait saisissant des classes prolétaires montréalaises durant la Seconde Guerre mondiale.

Inspiré par les reportages de Gabrielle Roy dans le quartier ouvrier de Saint-Henri, ce roman est considéré comme le premier roman urbain de la littérature québécoise, qu’il contribue à faire rayonner internationalement par le biais d’une quinzaine de traductions.
Constituée d’une trentaine de romans et de recueils de contes et de nouvelles, acclamée par la critique et chérie du grand public, l’œuvre de Gabrielle Roy est à la fois romanesque, intime et autobiographique. Sensible aux enjeux de la condition humaine et de l’identité, inspirée par la destinée des Franco-Manitobains mais intimement liée au Québec, cette œuvre est aujourd’hui un monument incontournable de la littérature canadienne francophone.

L’Orangeraie de Larry Tremblay

Larry Tremblay, devenu une référence dans le paysage littéraire québécois, est à la fois dramaturge, écrivain, metteur en scène, comédien et poète (rien que ça !). L’Orangeraie, son troisième ouvrage, est narré à la façon d’un conte. Cette histoire particulièrement poignante met en scène deux jeunes frères. Quand Amed pleure, Aziz pleure aussi. Quand Aziz rit, Amed rit aussi. Ces frères jumeaux auraient pu vivre paisiblement à l’ombre des orangers. Mais un obus traverse le ciel, tuant leurs grands-parents. La guerre s’empare de leur enfance et sépare leurs destins. Des hommes viennent réclamer vengeance pour le sang versé. Amed, à moins que ce ne soit Aziz, devra consentir au plus grand des sacrifices. Et tous payeront le tribut des martyrs, les morts comme ceux qui restent. Un texte à la fois actuel et hors du temps qui possède la force brute des grandes tragédies et le lyrisme des légendes du désert. 

Pays sans chapeau de Dany Laferrière

Parmi les auteurs et autrices mentionnés dans cette sélection, c’est peut-être celui que vous avez le plus de chance de connaître, tant il est apparu dans l’univers médiatique au cours de ces dernières années. Dany Laferrière est écrivain et réalisateur. Lauréat du Prix Médicis pour L’Enigme du retour, il est élu à l’Académie française en 2013. Il a passé son enfance et son adolescence à Haïti et s’est installé à Montréal en 1976, où il a d’abord travaillé en usine. En 1985, il publie son premier roman Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, qui connait un succès retentissant dans plusieurs pays, notamment dans le monde anglophone où l’auteur est comparé à Bukowski et à Miller.

Dans son ouvrage Pays sans chapeau publié en 1996, l’auteur raconte son retour à Haïti après vingt ans d’exil au Québec. Le pays, en apparence, est le même. L’odeur du café est la même, la pauvreté aussi, crue et violente, jusqu’aux amis qui sont restés fidèles à leur jeunesse. Mais au fil des jours, des silences de ses proches, des mots chuchotés par la rue, c’est à une enquête sur les morts que se livre l’auteur, zombis haïtiens et fantômes installés dans le quotidien de chaleur et de bruit de la ville. Un livre très touchant qui oscille entre l’émotion du retour au pays et la magie des anciens dieux. 

Le Torrent d’Anne Hébert

Anne Hébert demeure une autre grande figure de la littérature québécoise, bien qu’elle ait vécu plusieurs décennies à Paris. Née en 1916 et décédée en 2000, elle est écrivaine, poétesse, dramaturge et scénariste. Elle a grandi entourée de plusieurs figures littéraires dont son cousin le poète Saint-Denys Garneau, qui exerça une profonde influence sur elle. Le Torrent, son deuxième ouvrage, est un recueil de nouvelles publié en 1950. Elle l’édite à compte d’auteur dans un premier temps car l’œuvre jugée trop violente ne parvient pas à convaincre les éditeurs. Ce récit donnera le ton pour ses œuvres romanesques à venir, et provoquera une onde de choc chez son lectorat.

L’histoire met en scène François Perreault, qui depuis sa naissance, vit sous l’emprise tyrannique de sa mère qui vit recluse, pour racheter la grossesse coupable dont il est le fruit. Pour cette femme rejetée par son village, le rachat ne peut être réel que si son enfant devient prêtre. François est donc soumis dès son plus jeune âge à une discipline de fer contre laquelle il se rebelle quand, à dix-sept ans, il refuse d’entrer au séminaire. Un jour, en frappant son fils, la mère rend François définitivement sourd, mais lui donne accès ainsi à l’esprit du domaine : le monde sauvage qui est tout autour de la ferme et dont le centre devient, pour le jeune sourd, un torrent, voisin de la maison familiale. Malgré son handicap, François perçoit la vibration tumultueuse du torrent et l’associe au sang grondant dans ses propres veines, expression de sa colère et de sa haine. Ce conte de soixante-cinq pages dresse avec lucidité un tableau saisissant d’un milieu janséniste en proie à la culpabilité et à la dépossession. Un fait divers sert de point de départ à l’histoire, mais c’est en réalité toute la société québécoise qui est en procès. Au moment où Le Torrent est publié, le Québec est encore dominé par des valeurs profondément conservatrices. Le drame de François reprend celui de tous ceux qui méprisent les contingences corporelles ou matérielles et aspirent à une ascension exaltée de l’Esprit, aux fausses valeurs d’un ascétisme morbide et aliénant. 

Jane, le renard et moi d’Isabelle Arsenault

Nous ne pouvions pas vous livrer notre top 10 des œuvres québécoises à découvrir sans mentionner l’œuvre touchante et sensible d’Isabelle Arsenault. Diplômée en 2001 en design graphique à Montréal, cette artiste a toujours travaillé dans l’illustration. Quand elle s’est retrouvée mère de joyeux bambins, elle n’était pas totalement satisfaite des productions jeunesse de l’époque. Elle estimait qu’il restait pas mal de choses à explorer dans le domaine, et c’est de cette manière qu’elle a commencé à illustrer des histoires pour enfants. Lors de la publication de Jane, elle n’avait aucune attente quant à sa réception. Considérant qu’il s’agissait là d’une œuvre hybride : ni réellement enfantine, ni totalement adulte, elle fut agréablement surprise de constater que l’album plut autant aux jeunes qu’aux moins jeunes. En réalité, c’est justement là que repose toute la force de l’œuvre, dans la superposition de deux niveaux de lecture. La première constitue une lecture littérale, facile d’accès pour les enfants. Hélène, l’héroïne, est victime de harcèlement à l’école. Dans le bus, pour éviter de croiser le regard des autres et se donner une contenance, elle se cache derrière Jane Eyre. Concentrée, elle admire la force de vivre de cette jeune femme. C’est là qu’intervient le deuxième niveau de lecture. Une lecture poétique, naïve et sensible qui revisite le classique de Charlotte Brontë. Les dessins en noir et blanc lorsqu’il s’agit d’Hélène, se teintent d’orange vif ou de vert pomme lorsqu’intervient la courageuse institutrice. On ne peut que chaudement vous recommander cet ouvrage si ce genre de dessins aux allures régressives vous plaît. 

Les Belles-sœurs de Michel Tremblay

Michel Tremblay, né en 1942 à Montréal, est un dramaturge, romancier et scénariste québécois. Il est aussi conteur, traducteur, adaptateur, scénariste de films et de pièces de théâtre. L’utilisation inédite et originale qu’il fait du parler populaire québécois marque définitivement le paysage théâtral, si bien que le français québécois, ou joual, qui lui est rattaché, est aussi désigné sous la périphrase « la langue de Tremblay » et l’auteur lui-même souvent qualifié d’« écrivain national ».
Les Belles-sœurs est une comédie dramatique en deux actes écrite en 1965. Elle est fréquemment citée comme une des premières pièces québécoises à employer le joual.

Germaine Lauzon, ménagère de Montréal, a gagné un million de timbres-primes. Une bonne occasion pour inviter parentes et amies à une soirée de “collage de timbres”. Mais les quinze femmes entassées dans la cuisine n’en restent pas longtemps aux civilités : jalousies, vengeances et haines personnelles éclatent, venant gâcher la fête. Dans ce huis clos parfait, difficile de ne pas se sentir un peu voyeur. Voyeur comblé par la densité d’un texte qui crache les petites misères de ces femmes sans histoire et sans avenir, mais montre aussi leur lucidité et leur esprit, leur grande expérience de l’âme humaine.

On espère de tout cœur que cette petite sélection vous aura donné envie de plonger tête la première dans la riche littérature québécoise ! Il ne nous reste qu’à vous demander ceci : et vous, le 12 août, quel ouvrage québécois allez-vous vous procurer ? 😀

Coco & Charlie