La semaine dernière, je vous avais parlé du célèbre Michel Rabagliati et de son Paul, publié aux Éditions de la Pastèque. Si vous l’avez loupé, vous pouvez le consulter ici. Aujourd’hui, je vous reviens avec deux figures moins connues de la BD québécoise, mais qui mériteraient tout autant qu’on s’attarde de longues heures sur leurs planches drôles et raffinées.
Jane, le renard et moi, Isabelle Arsenault, Éditions de la Pastèque
Lors de la Foire du livre de Bruxelles, en février dernier, à droite de la table de Rabagliati, se tenait une jeune femme aux allures introverties. Appliquée, elle réalisait de magnifiques dessins pour les quelques personnes qui les lui réclamaient. La foule, agglutinée devant Rabagliati, ne lui accordait généralement pas un regard. Pourtant, je me souviens avoir été fascinée par ce que son coup de crayon dégageait de sensible et d’épuré.

Crédits photos : Les Ponctuelles
Jane, le renard et moi relève davantage d’un roman graphique que d’une bande-dessinée. Il ne contient d’ailleurs que très peu de phylactères. Le texte est le fruit de la poétesse Fanny Britt. Diplômée en 2001 en design graphique à Montréal, Isabelle Arsenault a toujours travaillé dans l’illustration. Quand elle s’est retrouvée mère de joyeux bambins, elle n’était pas totalement satisfaite des productions jeunesse de l’époque. Elle estimait qu’il restait pas mal de choses à explorer dans le domaine, et c’est de cette manière qu’elle a commencé à illustrer des histoires pour enfants. Lors de la publication de Jane, elle explique qu’elle n’avait aucune attente quant à sa réception. Considérant qu’il s’agissait là d’une oeuvre hybride : ni réellement enfantine, ni totalement adulte, elle fut agréablement surprise de constater que l’album plut autant aux jeunes qu’aux moins jeunes.
Selon moi, c’est là que repose toute la force de l’oeuvre, dans la superposition de deux niveaux de lecture. La première constitue une lecture littérale, facile d’accès pour les enfants. Hélène, l’héroïne, est victime de harcèlement à l’école. Dans le bus, pour éviter de croiser le regard des autres et se donner une contenance, elle se cache derrière Jane Eyre. Concentrée, elle admire la force de vivre de cette jeune femme. C’est là qu’intervient le deuxième niveau de lecture. Une lecture poétique, naïve et sensible qui revisite le classique de Charlotte Brontë. Les dessins en noir et blanc lorsqu’il s’agit d’Hélène, se teintent d’orange vif ou de vert pomme lorsqu’intervient la courageuse institutrice.
Une prochaine collaboration avec Fanny Britt est en cours de réalisation et devrait paraître d’ici deux ans. Il s’agira cette fois d’une histoire pour petits garçons, du moins c’est ce qu’Isabelle Arsenault s’imagine, mais je reste convaincue qu’un aussi beau trait de crayon séduira un bien plus large public, quel que soit le sujet de l’oeuvre. Même si le style est radicalement différent de celui de Ragabliati, j’apprécie à nouveau ce côté régressif et enfantin. Souvent, le coloriage se fait par hachures nettes, comme nous le faisions autrefois sur nos dessins d’école.
Pour la dernière artiste, je vous l’accorde, je triche un peu. Elle ne faisait en réalité pas partie des auteurs présents à la Foire du livre. Je l’ai découverte il y a quelques mois, en chinant en librairie. Mais une fois que vous l’aurez lue, vous comprendrez pourquoi il m’était indispensable de vous la présenter.
Apnée et Les Deuxièmes, Zviane, Pow Pow
Chez Pow Pow, une petite maison d’édition québécoise qui vient à peine de sortir de l’oeuf, Zviane a publié deux oeuvres phares. La première, sortie en 2010, s’intitule Apnée. Non, il n’est pas ici question de relater les exploits d’une nageuse olympique, mais bien de montrer les tribulations d’une jeune musicienne qui boit la tasse. C’est le récit de la vacuité de la vie et de l’incapacité des proches à voir les maux qui nous rongent. D’ailleurs, toujours dans ce dessin de type ligne claire, aucun personnage n’est représenté avec des yeux. Coïncidence ? Probablement pas. C’est un récit poignant, où l’auteure se garde bien de donner des leçons psychologisantes qui expliqueraient les raisons d’un tel mal. Un récit pour le moins taciturne, qui nous prouve une fois de plus – si on en avait encore besoin -, qu’un beau dessin vaut mieux qu’un long discours.
Trois années après la parution de ce bijou, Zviane épate à nouveau avec Les Deuxièmes. Il s’agit cette fois d’un huis clos, mettant en scène un couple illégitime de Québécois. À nouveau, l’auteure ne se lance pas dans une justification de leur trahison envers leur conjoint respectif. On ignore pourquoi ils se retrouvent dans cette maison, et comment ils se sont rencontrés. On assiste juste au temps qui passe, à leurs disputes parce qu’ils ne parviennent pas à déboucher une bouteille de vin, à leurs moments de tendresse lovés l’un contre l’autre, à leur complicité lorsqu’ils poussent la chansonnette, chacun assis devant un piano.
Le dessin en noir et blanc est volontairement épuré dans une esthétique qui convient parfaitement avec les thèmes et le ton des oeuvres. C’est une bouffée d’air frais dans le petit monde de la BD, qui a – il faut le reconnaître – parfois tendance à nous ressortir le même genre d’albums, à chaque rentrée littéraire. Zviane, on a envie de la lire et de la relire. Et puis on a envie de l’offrir aux amis, pour pouvoir en discuter, et faire durer le plaisir le plus longtemps possible.
Pour découvrir quelques planches en libre accès, rendez-vous sur la page de Pow Pow.
Si vous n’êtes pas trop loin de Bruxelles, vous trouverez, à coup sûr, les trois bandes dessinées dans la petite librairie Tulitu, fraîchement installée Rue de flandres, près de la Place Sainte-Catherine.
Québequement vôtre,
Charlie