À l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage, Le Mystère de la femme sans tête aux éditions du Seuil, nous avons proposé à Myriam Leroy de plonger dans sa bibliothèque, pour que vous puissiez la (re)découvrir par le prisme de ses lectures. En résulte une sélection pointue dont plusieurs titres menacent sévèrement d’agrandir notre pile à lire prochainement… voyez plutôt !
Quelle lectrice es-tu ?
Je dois tout le temps avoir un livre en cours, ce qui fait que j’en achète beaucoup. Quand j’écris, j’ai souvent du mal à aller au bout de mes lectures. Je ne sais pas bien pourquoi, je fais des rejets épidermiques de ce que je lis. J’en commence énormément et je me lasse très vite. Ça s’est sensiblement accéléré durant les dernières années. Par ailleurs, je remarque que j’apprécie de moins en moins la fiction. Ca m’intéresse de moins en moins, sauf quand c’est spectaculairement bien construit. Là évidemment, je bats des mains et je suis ravie, je suis comme au spectacle. J’aime voir comment la saucisse est fabriquée ! Mais sinon, je cherche des livres qui me racontent le réel plutôt que des livres qui inventent des mondes. Il paraît que c’est le grand âge qui fait ça. Apparemment, passé un certain âge, on se désintéresse de la fiction ; comme il nous reste de moins en moins de temps à vivre, on a de plus en plus de choses à rattraper sur le réel. C’est un peu déprimant comme constat, mais en ce qui me concerne, j’ai l’impression que c’est vrai.
Quel livre t’a donné envie d’écrire ?
Je me souviens avoir lu Un roman russe d’Emmanuel Carrère, j’étais sur une plage en Thaïlande. Je l’ai vraiment lu en apnée. J’avais toujours eu envie d’écrire mais je ne m’étais jamais donné l’autorisation de le faire. Et là, en 2016, lire ce livre qui me semblait totalement nouveau, ça m’a fait l’effet d’un électrochoc. L’auteur s’autorise, en plein milieu de son ouvrage, un arrêt où il propose une nouvelle érotique qui n’a absolument rien à voir avec le reste. C’est un récit où la lectrice est l’héroïne. L’auteur l’adresse à la femme avec qui il est en couple. Il lui donne différentes indications : prendre un train, se lever, aller aux toilettes et se masturber, etc. Il avait initialement écrit cette nouvelle pour le journal Le Monde. Et là, il la glisse au milieu de son roman, ce qui provoque une grosse interruption du récit. Le roman est super, mais cet ovni en plein milieu m’a vraiment épatée. Je me suis dit : “Waw, on peut faire ça en fait ? Dans les livres, on n’est pas obligé d’adopter des structures classiques du style ‘Et il rétorqua – deux points – ouvrez les guillemets'”.
J’ai l’impression qu’avant Emmanuel Carrère, je lisais plutôt de la littérature très classique. Et lui, il m’a montré qu’on pouvait faire avec ce qu’on était, avec nos forces et nos faiblesses… et qu’on pouvait inventer des choses. Ça m’a encouragée !
Il y a de très bons livres écrasants qui ne donnent pas envie d’écrire mais uniquement de faire une révérence, tant on ne se sent pas légitime. Et puis il y a ceux qui donnent énormément envie d’écrire, comme Annie Ernaux. À l’inverse, Tom Wolfe ne donne pas envie d’écrire, il est tellement imposant, tellement grandiose, que l’on ne se sent pas de taille à s’attaquer à ce genre de choses.
Quelques mois après avoir lu Emmanuel Carrère, j’ai lu un Marc Levy pour le boulot. Ça ne m’a pas plu mais je me suis dit que puisqu’il est visiblement possible de vendre des centaines de milliers de bouquins avec des histoires un peu paresseuses, alors je pouvais bien essayer aussi ! C’était finalement assez décomplexant !
C’est amusant que tu mentionnes justement cet exemple du livre d’Emmanuel Carrère, “Un roman russe”. On ne l’a pas lu, mais on imagine que la nouvelle qui s’insère au milieu du récit est rédigée à la deuxième personne du singulier, tout comme une partie du Mystère de la femme sans tête !
Je pense que c’est la première fois que j’utilise aussi longtemps le “tu” dans un livre. Je ne l’avais pas fait auparavant. J’apprécie ce procédé car cela crée un moment de rupture. Comme s’il y avait un bridge, comme en musique. Dans Ariane, il y a un bridge, dans Les yeux rouges rouges aussi, puisqu’il y a une nouvelle enchâssée dans une autre. Mais c’est vrai, j’aime le “tu”. Le “tu” d’Emmanuel Carrère, c’est aussi le “tu” de Michel Butor dans La modification. Ça fait un peu “Le livre dont vous êtes le héros”. Le “tu” que j’emploie est différent, mais en découvrant Butor, cela m’a donné envie d’écrire un livre dont vous êtes le héros. L’auteur donne en quelque sorte des ordres au lecteur, et ça peut être un défi stylistique très intéressant.
Quel ouvrage a été déterminant dans ton positionnement féministe ?
King Kong Théorie de Virginie Despentes. Ça a vraiment été mon école, ça m’a donné une bonne claque. Une claque assez douloureuse parce que j’ai compris à quel point ma vision du féminisme était bourgeoise et étriquée. Ça m’a bien mis les yeux en face des trous et les points sur les i. C’est un bon tabassage tout à fait salutaire. Ce livre ne vieillit pas, c’est un classique instantané.
Et puis, il y a aussi Ces hommes qui m’expliquent la vie de Rebecca Solnit. Il est moins révolutionnaire que le premier, mais tout de même, il permet d’observer la vie différemment. Je l’ai beaucoup offert autour de moi car c’est un livre de féminisme joyeux, très contre-intuitif. Il y a de l’humour, de la joie, de la dérision. C’est un livre facile à offrir, même aux personnes les plus réticentes aux idées féministes.
Et enfin, encore plus récemment, il y a eu Le génie lesbien d’Alice Coffin. J’ai adoré. Elle explique bien mieux que moi le fait de se signaler quand on écrit, d’expliquer d’où on parle. Elle estime qu’on n’est jamais aussi bien placé pour parler des inégalités de genre que quand on est une militante féministe, et qu’un.e journaliste devrait assumer d’être militant.e.
Elle raconte notamment que quand les journaux où elle travaillait souhaitaient couvrir la Gay Pride, on ne faisait pas appel à elle car on craignait que son homosexualité l’empêche d’être objective. Elle raconte pourquoi c’est stupide mais aussi contre-productif. Ça m’a vraiment confortée dans l’idée de l’importance de se signaler.
Quelle autrice belge méconnue souhaiterais-tu mettre à l’honneur ?
Victoire de Changy. Elle a écrit plein de très beaux livres. Certains pour enfants comme L’ours Kintsugi, mais aussi d’autres pour adultes : L’île longue, Une dose de douleur nécessaire et Subvenir aux miracles. Elle écrit tellement bien, avec tellement de délicatesse, sans adopter un air emprunté. Victoire de Changy est authentiquement faite de poésie. Elle ne joue pas, elle ne triche pas. Il y a quelque chose de profondément sincère dans la beauté qu’elle veut montrer. Le monde qu’elle décrit, c’est vraiment sa vérité et je trouve qu’elle n’a pas du tout la visibilité qu’elle mérite. Je pense qu’elle commence à s’installer comme une autrice belge digne d’intérêt, mais c’est tellement joli ce qu’elle écrit qu’elle mériterait bien plus. Elle a aussi fait un peu de poésie, La paume plus grande que toi, sur la naissance de son fils. Je pense que même les gens qui n’adhèrent pas vraiment à ces choses délicates, éthérées et simplement belles, pourraient apprécier son œuvre.
Est-ce que tu lis de la poésie ?
Pas du tout. Pourtant la poésie est très en vogue, et d’autant plus en Belgique qui est une terre de poètes, de poétesses et de poésie militante. De mon côté, j’y suis plutôt hermétique, sauf pour Victoire de Changy, un peu Lisette Lombé et Joëlle Sambi. Je capte la poésie dans les romans mais les livres de poésie, avec des passages à la ligne, des phrases hachées, mon cerveau n’est pas formaté pour comprendre le plaisir qui s’y trouve. Exception faite de Baudelaire tout de même avec Les fleurs du mal, mais je suis restée très classique à ce niveau. Victoire de Changy, c’est d’abord parce que je la connaissais que je me suis tournée vers son œuvre et j’ai découvert que j’adorais ce qu’elle faisait.
Peut-être que je changerai d’avis un jour : avant, les biographies et les romans historiques me glissaient des mains et en grandissant, c’est devenu ce que je lis !
“La poésie, c’est comme une petite bulle qui éclate en faisant jouer des castagnettes aux synapses”
Ta réponse a quelque chose de rassurant. Lorsque nous étions encore étudiantes, une professeur nous avait dit que pour pouvoir écrire des livres, il fallait lire énormément de livres de poésie afin de s’en imprégner. De notre côté, la poésie ne nous a jamais fait vibrer non plus.
Oui de mon côté, j’estime que je mets de la poésie dans ce que j’écris mais ce n’est pas forcément la poésie de la rime, bien qu’il y ait pas mal d’assonances dans ce que j’écris. Là où j’apporte surtout de la poésie, c’est quand j’essaye de faire surgir une image qui n’est pas celle attendue. Quand je dis que Marina est énervée par les petites nanas qui dragouillent les officiers nazis, je dis qu’elle a envie de les secouer comme un tapis, là où on se serait plutôt attendu à écrire “secouer comme un prunier”. C’est là selon moi que se niche la poésie. C’est la capacité à être tout aussi précise, mais en générant une image à laquelle le cerveau ne s’attend pas forcément. La poésie, c’est comme une petite bulle qui éclate en faisant jouer des castagnettes aux synapses. Et les livres de poésie, ça ne me fait pas trop jouer des castagnettes ! Peut-être parce qu’on s’y attend.
Du coup, on imagine que le livre que tu aurais aimé écrire n’est pas de la poésie… mais alors, de quoi s’agit-il ?
L’Arabe du futur de Riad Sattouf. Simplement parce qu’il a écrit quelque chose de formidable et d’universel en parlant de son histoire qui est très singulière et très curieuse. Je serais bien incapable d’écrire ça. Je n’ai pas du tout la force de travail de Riad Sattouf, je ne dessine pas assez bien non plus. Et je pense que le dessin est tout aussi important que l’histoire. C’est du génie, grand public, essentiel, drôle et en même temps très dur.
Quel est le dernier livre qui t’a chamboulée ?
J’ai lu Anne Akrich avec Le sexe des femmes. Je ne connaissais pas l’autrice, bien que Virginie Despentes soit placée en citation sur la jaquette, en disant que c’est formidable. Je suis tombée dessus via un post instagram de Laurent Chalumeau. À l’époque, je cherchais un livre, après avoir jeté les huit précédents après 30% de lecture à peine. Je lis sur Kindle, je l’ai donc acheté en plein milieu de la nuit et je l’ai lu d’une traite jusqu’à la fin, à 4 heures du matin. C’est un petit manifeste féministe autour de tout ce qui est fait au sexe des femmes : agression, règles, accouchement, etc. Ça a l’air chiant comme ça mais en réalité c’est hyper drôle et totalement inattendu. Ça m’a surtout chamboulée par l’extrême acuité intellectuelle de l’autrice. Ce livre aurait dû faire tous les gros titres des journaux. Elle aurait dû être invitée partout, je ne comprends pas que cet ouvrage n’ait pas été lu davantage. Plein de personnes l’ont lu suite à mes stories instagram, et ils m’ont tous dit l’avoir trouvé extraordinaire !
Quel livre aurais-tu aimé offrir à Marina Chafroff ?
J’aurais aimé lui offrir une grande épopée, une belle aventure, une évasion. Parce que je pense que son quotidien se limitait – comme la plupart des femmes bruxelloises de l’époque – aux quatre murs de sa cuisine. Peut-être Dans la forêt de Jean Hegland ou bien Là où chantent les écrevisses de Delia Owens. Ce sont de beaux grands livres à la fois longs – pour avoir le temps de s’y plonger – et faciles à lire – pour qu’ils soient confortables. Ils nous font voyager et nous enveloppent en même temps dans une couverture bien chaude. Il y a un pur plaisir de lecture et de visualisation d’une nature à apprivoiser.
Vous avez apprécié cette plongée entre les pages de Myriam Leroy ?
Alors nous vous donnons rendez-vous dans la seconde partie de l’interview, pour décortiquer ensemble Le Mystère de la femme sans tête, le nouvel ouvrage de Myriam Leroy!
Livresquement vôtre,
Coco & Charlie
[…] avez apprécié cette première partie d’interview ? Plongez entre les pages de Myriam Leroy et (re)découvrez-la à travers les livres qui l’ont marquée. Livresquement vôtre,Coco […]
[…] Leroy par exemple, parlent de leur personnage (ndlr : Marina Chaffrof dans son dernier ouvrage, Le Mystère de la femme sans tête) comme étant un refuge. Dans le cas de Myriam Leroy, elle a expliqué que Marina avait constitué […]