Passa Porta Festival : entretien avec Ysaline Parisis

Il y a quelques jours, et à quelques semaines de l’ouverture de la neuvième édition du Passa Porta Festival, Ysaline Parisis, programmatrice pour la partie francophone à Passa Porta – La Maison des Littératures, nous a fait le plaisir de répondre à quelques questions sur ce festival qui, tous les deux ans, fait rayonner le centre de Bruxelles à l’aube du printemps !

Peux-tu nous présenter le festival en trois mots-clés ?

Le premier terme qui me vient, c’est le multilinguisme parce que c’est vraiment une spécificité du Passa Porta Festival. C’est le plus grand événement littéraire et multilingue de ce type. C’est vraiment sur la question du multilinguisme que l’on fait la différence puisqu’on a une centaine d’auteurs qui nous rendent visite sur l’ensemble du festival et qu’il y a une multitude de nationalités et de langues. On aura des rencontres qui se dérouleront en français, en néerlandais, en anglais, mais aussi en allemand, en espagnol, en italien, en russe. C’est véritablement une force. Comme Passa Porta est la réunion de deux ASBL, l’une francophone et l’autre néerlandophone, on a vraiment une vue sur l’ensemble de la production littéraire avec des différences de timing en traduction. Par exemple, il m’arrive de découvrir certains livres d’auteurs que je connais déjà (ou pas) grâce à leur traduction en néerlandais. Ne pas se limiter au français, c’est vraiment quelque chose que l’on a envie de mettre au cœur du festival. Et cela fait évidemment écho à Bruxelles qui est la ville la plus bilingue qui soit. Cette ville constitue donc un splendide écrin pour ce festival.

Le second mot-clé serait la diversité des formats. Parce que durant le festival, il y a bien sûr des rencontres littéraires au sens traditionnel, avec deux chaises et deux verres d’eau, mais il y a également tout une réflexion par rapport au fait de mettre en scène la littérature et de proposer une approche un peu différente, une approche plus créative, plus inventive, qui sorte un peu des sentiers battus. On a donc des propositions de cartes blanches, de concerts littéraires et d’autres projets avec du son et de l’image qui mettent la littérature en scène. Cette réflexion nous permet de toucher des publics plus jeunes.

Enfin, le dernier terme serait celui du nomadisme. La librairie Passa Porta se situe rue Dansaert et le lieu ne permet pas d’organiser des événements de grande envergure. Pour ce festival, nous sommes donc amenés à nouer toutes sortes de partenariats avec différents lieux de culture du centre-ville bruxellois. Pour cette neuvième édition, nous travaillons avec 13 lieux depuis La Monnaie jusque l’Ancienne Belgique, en passant par Le Théâtre National ou encore La Bellone. C’est aussi l’occasion pour le public de découvrir d’autres lieux, d’autres ambiances bruxelloises, de faire de chouettes parcours dans la ville.

La thématique de cette année est le refuge : pourquoi ce choix et pourquoi advient-il cette année ?

Cette année est très singulière pour Passa Porta puisque le festival commence au moment où se termine un autre événement très important que l’on organise aussi et qui s’appelle l’ICORN Network Meeting, ce qui signifie International Cities of Refuge Network. Cet événement rassemble donc les villes refuges pour les écrivains et les artistes en exil. Il faut savoir qu’il y en a 70 de par le monde et que Bruxelles est présent dans ce réseau grâce à Passa Porta qui est l’organisation partenaire. Cette année, c’était au tour de Passa Porta d’organiser ce grand rassemblement. L’ICORN est un événement majoritairement destiné aux professionnels, il va y avoir beaucoup d’artistes et de représentants d’institution qui nous rejoindront, même si certains événements seront ouverts au public. De ce fait, comme les deux événements se suivaient de près, nous les avons construit sous une grand thématique coupole qui est celle du refuge.

Comment l’avez-vous exploité à travers la programmation ?

Le terme « refuge » est extrêmement riche car polysémique et nous avons tenté d’en exploiter toutes les facettes. Evidemment, on pense à la dimension sociétale et politique. Cela peut notamment questionner la notion de décolonisation des musées aujourd’hui. Par exemple, « en quoi le musée est le refuge des trophées et des objets coloniaux ? », cela fera l’objet de deux rencontres. Plus simplement, cela peut également être le fait d’aborder la question du refuge d’un point de vue politique. Cela fera notamment l’objet d’une rencontre entre l’économiste et romancier sénégalais Felwine Sarr et l’écrivaine française Marielle Macé. L’un et l’autre ont des regards engagés sur cette question.
Et puis, le refuge ça peut aussi être quelque chose de très intime. Certains écrivains, comme Myriam Leroy par exemple, parlent de leur personnage (ndlr : Marina Chaffrof dans son dernier ouvrage, Le Mystère de la femme sans tête) comme étant un refuge. Dans le cas de Myriam Leroy, elle a expliqué que Marina avait constitué un refuge pour elle durant le confinement. C’est vrai que l’écriture peut être une forme de refuge pour les auteurs. Poser la question du refuge à des écrivains, c’est aussi explorer tout leur laboratoire intime et là par exemple, cela fera l’objet d’une carte blanche entre Diaty Diallo et Lisette Lombé qui convoqueront tout ce qui fait refuge pour elles dans la création, dans la littérature, dans la musique, dans le cinéma.
Et puis, enfin, il y a la question du refuge un peu plus métaphorique, je pense notamment à la soirée du vendredi soir, qui s’intitule « inventaire avant disparition ». Il sera question de demander à des écrivains d’écrire des textes inédits à propos de disparitions auxquelles ils assistent aujourd’hui. Quatre auteurs écriront à propos des ces disparitions en cours. C’est donc un refuge un peu métaphorique où l’on offre un dernier sanctuaire à des phénomènes qui sont en train de s’évanouir.

La littérature a-t-elle toujours été un refuge pour toi ? Quel livre a marqué ta vie en t’apportant justement ce repaire aussi ressourçant que rassurant ? 

Oui, d’aussi loin que je me souvienne, la littérature a toujours été un très grand refuge pour moi. Mon rapport au refuge a également beaucoup évolué au fil du temps, comme pour beaucoup de gens j’imagine. Adolescente, je cherchais vraiment à être confortée, je cherchais dans les livres des héroïnes qui me ressemblaient, j’avais envie de vivre ou de revivre des choses par procuration, mais je pense que si je dois citer un livre qui a changé ma manière de considérer tout ça, c’est probablement La Promenade au phare de Virginia Woolf. C’est très difficile de sélectionner un titre parmi l’œuvre de cette autrice, mais je me rappelle particulièrement celui-là, j’étais plutôt jeune adulte au moment de la lecture. Pourtant, paradoxalement, cela n’avait pas été une lecture rassurante, mais c’est justement la déstabilisation dans laquelle j’ai été mise – c’est une sorte de poème psychologique, l’histoire peut être résumée très rapidement –, c’est toute la trajectoire mentale des personnages qui m’ont fait voir que l’unité de l’identité est une fiction et que l’on peut être multiple, que la littérature est un échange qui n’a pas besoin de se terminer pour se construire et que cela se déploie. Le mystère, l’illimité, l’insaisissable est au cœur de nos vies. Cela a vraiment été une lecture-clé pour moi. J’ai compris que l’âme est changeante et que l’on peut y trouver une liberté. C’est très déstabilisant mais très libératoire aussi.

Tant la librairie que le festival Passa Porta offrent une fenêtre sur la diversité linguistique et culturelle belge, alors que les cultures et littératures wallonnes et flamandes diffèrent énormément. Quels sont selon toi les points d’ancrage, les valeurs refuges qu’elles partagent ? Et comment l’avez-vous traduit dans la programmation du festival ?

En tout cas, sur la spécificité du festival, je dirais qu’il y a une curiosité énorme – aller voir comment la littérature se renouvelle, voir ce qui se publie actuellement, etc. –, à la fois envers les voix émergentes et un peu iconoclastes mais aussi une foi commune dans les grands noms, dans les grands auteurs qui, de livres en livres, gagnent en puissance et constituent des boussoles pour nous, lecteurs. C’est cette idée de confronter ces deux pôles, d’essayer de dresser un paysage littéraire contemporain entre ces deux tensions-là. Au sein du festival, on met également un point d’honneur à confronter les auteurs et les autrices belges à se confronter à leurs homologues internationaux afin de créer de nouveaux échanges.
Sinon plus généralement, on retrouve également certaines valeurs communes entre littérature wallonne et flamandes : le féminisme, la diversité, la valeur de la traduction, comme métier extrêmement clé de la création littéraire.

Toi qui lis autant de littérature francophone que néerlandophone, vois-tu des thématiques communes émerger récemment ?

Un des plus grands terrains de jeux de la littérature actuelle, c’est la réinvention du personnage féminin, ce qu’on appelle le Female Gaze au cinéma. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de très fort qui se passe dans la libération du corps, de l’identité, des personnages féminins, et il y a encore énormément de chose à écrire, à explorer. J’assiste à des choses très intéressantes et très neuves. Après, la question de la famille ou de faire famille est toujours là aussi et elle est toujours en train de se réinventer. C’est aussi la question de l’amitié, de comment l’on peut faire tribu. Et puis enfin, la question de l’écologie bien sûr. C’est passionnant de voir comment cela peut être abordé en littérature.

Que peut-on souhaiter au Passa Porta Festival pour cette neuvième édition ?

Certaines personnes viennent nous dire qu’elles ont découvert une écriture, ou un auteur.rice, durant le festival et c’est évidemment le but et le cœur de notre travail. Alors sur la question des refuges, j’aimerais que cela puisse confronter les gens à des refuges futurs, j’aimerais que l’on puisse faire rencontrer au public de nouvelles pensées, de nouvelles images, de nouvelles sensations qui vont faire refuge et dans lesquelles les gens vont pouvoir se reconnaître, se construire et construire la société de demain. Je suis intimement convaincue qu’on peut se rappeler toute sa vie d’une rencontre littéraire, d’un mot d’une autrice ou d’un auteur.

Passa Porta Festival : Quoi ? Quand ? Où ?

Quoi ? Quatre jours de festival et de rencontres littéraires en tout genre autour de la thématique du Refuge.

Quand ? Du 23 au 26 mars 2023.

Où ? Dans plusieurs hauts lieux culturels bruxellois (BOZAR, KVS, Beursschouwburg, La Monnaie, AB, …), mais aussi dans des endroits plus insolites (espace public, bars, magasins…), pour incarner les littératures d’aujourd’hui.

Retrouvez le programme complet du festival ici.

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On espère que cet échange avec Ysaline Parisis vous a plu et surtout qu’il vous aura donné envie de (re)découvrir ce festival qui, à chaque édition, redouble d’inventivité afin de questionner notre rapport aux littératures !

Bon festival !

Coco et Charlie