Entre les pages de Lauranne van Naemen

Lauranne van Naemen fait définitivement partie de nos plus belles rencontres de 2020. Lorsque nos conversations se sont croisées pour la première fois sur Instagram, le courant est tout de suite passé, et la sélectionner pour notre série « Entre les pages » nous est apparu comme une évidence. Au-delà de la gentillesse et de la bienveillance que cette illustratrice bruxelloise dégage de prime abord, nous admirons par-dessus tout la fibre créative qui l’anime. Fille de publicitaire et de professeur d’Arts Plastiques, Lauranne se tourne dès l’école secondaire vers un cursus artistique. Avant même d’être diplômée du supérieur, elle commence à dessiner pour la presse, tout en exposant ses travaux lors de parcours d’artistes. Aujourd’hui, après avoir travaillé dix ans pour un magazine de design en tant qu’illustratrice et graphiste, elle se sent prête à reprendre le bâton de marche et à découvrir de nouveaux horizons, en avançant pour ses propres projets.

Quand on écoute Lauranne van Naemen évoquer son parcours, ses centres d’intérêt et sa vision du dessin, on se rend très vite compte que tout s’imbrique comme les pièces d’un puzzle et que tout fait sens. Son goût pour la lecture mais aussi pour la montagne et l’alpinisme, elle le tient d’une certaine façon de ses quatre grands-parents, des libraires d’un côté et d’heureux habitants des Pyrénées de l’autre.

Lorsqu’elle se penche sur sa feuille blanche armée de son bic bleu devenu sa marque de fabrique, elle s’imagine partir à la conquête du blanc. Elle l’attaque, comme on attaque un mur d’escalade, et tout devient question d’équilibre entre l’intensité du trait bleu et l’espace vide laissé par le blanc. Faire le choix de dessiner au bic est une forme d’engagement et de témérité. Lauranne dessine sans corde, sans filet de sécurité, comme un grimpeur libre. Si le bic coule ou dérape, tant pis, il faudra s’adapter, comme le ferait l’alpiniste lorsqu’il doit affronter une météo capricieuse ou une piste difficile.

Dans ce second épisode d’Entre les pages, nous vous invitons à plonger tête la première dans les lectures et l’univers passionnant de Lauranne van Naemen.

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Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Lauranne van Naemen, je suis née à Bruxelles. J’ai suivi un cursus artistique, tant en secondaire qu’en supérieur. La première école m’a vraiment offert une structure, un cadre, tandis que la seconde était plus propice à l’expérimentation, au développement d’un concept. J’ai trouvé que ces deux approches étaient très complémentaires.

À la fin de mes études, avant d’être diplômée, j’ai commencé à dessiner pour la presse, tout en exposant mes travaux lors de parcours d’artistes. Le premier article que j’ai illustré s’appelait « Un coin pour soi ». Il est paru dans un magazine qui s’appelle Gaël Maison, qui est un magazine de design, d’architecture et de décoration d’intérieur. J’ai vraiment noué des liens très forts avec cette équipe pour laquelle j’ai aussi travaillé très vite en tant que graphiste.

Aujourd’hui, c’est une histoire qui se termine tout doucement, parce que je pense qu’il est temps pour moi de me remettre en marche, de reprendre ma route vers d’autres projets et de nouveaux horizons. Je ressens le besoin de me recentrer vers l’illustration. 2020, l’année de tous les changements, de toutes les remises en question, je pense que c’est le pire comme le meilleur des moments. J’ai décidé que l’année prochaine serait vraiment l’année de l’exploration. J’ai envie d’alterner des collaborations, comme les sets de tables que j’ai réalisés, et des auto-productions. Des choses pour lesquelles je ne me mets aucun frein, où il n’y a pas de compromis. Et je verrai où tout cela me mène, mais je pense que quand on se met sur sa bonne voie, on fait des rencontres inspirantes, on croise la route de gens qui nous ressemblent. Et ça c’est vraiment quelque chose que j’ai remarqué cette année. Même si évidemment j’ai super peur parce que c’est un gros changement.

Le magazine a été un socle pour moi pendant dix ans, et aujourd’hui, je me connais mieux, j’ai davantage confiance en moi et je sais ce qui me plaît. J’ai envie de me réaligner un petit peu, même si ce boulot n’a jamais été considéré comme alimentaire. C’est quelque chose que j’ai fait avec beaucoup de passion et d’enthousiasme. Le rédacteur en chef m’a vraiment laissé carte blanche pendant toutes ces années et c’était une chance. Mais aujourd’hui, il est temps de passer à autre chose. Je pense que j’ai apporté tout ce que je pouvais pour ce magazine. 

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Quelle lectrice es-tu ?

Les livres ont toujours fait partie de ma vie. Petite, on rendait régulièrement visite à mes grands-parents qui étaient libraires. Et puis plus tard, j’ai toujours aimé lire les livres qu’on nous proposait à l’école. Ces dernières années, l’escalade, l’alpinisme et la montagne en général sont devenus des thèmes récurrents dans mes lectures, mais on y reviendra plus tard. 

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Quel livre t’a fait aimer la lecture ?

« Le Magicien d’Oz ». J’ai hésité parce qu’il y a énormément de livres qui m’ont fait aimer la lecture, mais celui-là, il m’a été offert par mes grands-parents pour mon dixième anniversaire. C’est un peu l’âge où on devient une lectrice sérieuse, alors on reçoit de beaux livres. Dans cette histoire, j’ai aimé que le héros soit une héroïne, que ses compagnons de route soient un lion, un bûcheron en fer blanc et un épouvantail. Et puis, j’ai particulièrement aimé qu’au moment où l’héroïne, Dorothy, rencontre le Magicien d’Oz, il lui dise « Au fond, tout ce qu’on cherche, on l’a déjà au fond de soi. » Je trouve que c’est un superbe message, ça m’a vraiment plu, même à dix ans. 

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Quel livre t’a permis de développer ta créativité ?

Les livres de coloriage. J’en achète toujours aujourd’hui. C’est le plaisir de nourrir son enfant intérieur et d’être co-auteur, tout en s’oubliant. C’est vraiment un truc que j’adore. Il y a un designer qui s’appelle Nicolas Bovesse qui en parle dans son projet « Blue Lake ». Il s’est intéressé aux coloriages de ses enfants. Un jour, en partant en France avec ses enfants, ils ont fait une halte devant un lac. Spontanément, son fils s’est mis à dessiner ce lac tel qu’il le voyait.

À leur retour de vacances, le designer a repris son dessin et il en a fait un tapis en laine. Je trouve que l’histoire est magnifique. On part d’un geste spontané et on arrive à un objet domestique à vivre. Et je trouve que le coloriage permet cela aussi. Le tapis que Nicolas Bovesse a créé a quelque chose qui se rattache à l’enfance parce que le crayonné est super présent, on le voit et on le sent. Et en même temps, si on ne nous dit pas que c’est un lac, il y a quelque chose de totalement abstrait, et on s’éloigne de l’enfance. 

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Quel est le dernier livre qui t’a le plus chamboulé ?

« Les Jardins statuaires » de Jacques Abeille. L’histoire se déroule dans un monde et à une époque complètement indéterminée. Le voyageur, qui est anonyme, part découvrir une contrée qui est divisée en domaines clos, et dans lesquels on cultive des statues. C’est complètement dingue. Ces statues sont aussi fragiles que des plantes, et on doit donc les soigner, on doit presque les arroser. Et selon la qualité de la terre dans laquelle elles poussent, elles prennent des formes guerrières, des formes de nymphes, de cariatides, bref des formes très variées.

Ce livre est profondément inclassable. L’auteur livre une réflexion sur l’inspiration, sur la création, sur notre rapport à l’Art. Et à chaque fois que je repose ce livre, parce qu’il se déguste à petite dose, j’ai l’impression de revenir à moi, de revenir d’un pays lointain. À chaque fois, il faut me rappeler que c’est totalement imaginaire, alors que je n’en ai pas envie, je voudrais vraiment que cette contrée existe. Ce livre m’a complètement chamboulé, je m’y attendais pas. Ce qui est très beau en plus avec ce livre, c’est qu’il y a un plan dessiné qui se trouve derrière la couverture. Cela permet de situer l’histoire et les différents lieux dont on parle. C’est magnifique. En plus, la couverture a été dessinée par François Schuiten, c’est superbe.

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Quel est le livre qui te fait le plus voyager ?

« Le Dictionnaire amoureux de la montagne » de Frédéric Thiriez. Peu importe la page à laquelle j’ouvre ce livre, je peux me retrouver au Karakoram, ou en compagnie de Reinhold Messner ou au fond d’une crevasse. C’est absolument génial. Il y a aussi de très beaux thèmes qui sont évoqués comme la beauté, le danger, le silence ou la douleur. C’est un livre super vaste. À chaque fois que je l’ouvre, je ne sais pas où je vais atterrir, mais je sais que j’y vais. 

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Quel est le livre qui a remis en question tes convictions ?

« Il n’est jamais trop tard pour éclore » de Catherine Taret. Dans ce livre, on nous parle des « Late bloomers ». En référence aux plantes à floraison tardive, mais surtout aux gens qui fleurissent plus tard que la moyenne. On nous parle d’une évolution à contre-courant des normes imposées par la société.

C’est un livre qui parle d’une certaine lenteur, d’une recherche de sens, et puis surtout de l’acceptation de son propre chemin. Un chemin qui n’est pas forcément celui des autres, avec un rythme qui n’est pas non plus forcément celui des autres. Et c’est au final, je trouve, un livre qui fait du bien. En plus, j’adore le titre !

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Quel est le livre que tu n’as pas pu terminer ?

« Mort dans l’après-midi » d’Ernest Hemingway. C’est le monde de la tauromachie qui est minutieusement détaillé. De sorte que le lecteur, à la fin du livre, ne puisse plus rien ignorer du rôle des chevaux, des taureaux, des picadors, des matadors, des banderilles et du déroulement d’une corrida. J’ai lu ce livre au retour d’un voyage en Andalousie… Et je ne m’attendais absolument pas à une telle profusion de détails techniques ! Tout est décortiqué, tous les gestes, etc., et en fait, c’est exténuant.

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Quel est le livre que tu aurais aimé écrire ?

« À la verticale de soi » de Stéphanie Bodet. C’est un gros gros coup de coeur. C’est l’histoire d’une jeune fille qui est asthmatique et qui déteste les cours de gym. Elle va découvrir l’escalade et rencontrer son compagnon Arnaud Petit. Ensemble, ils vont gravir les plus belles parois du monde. C’est une très belle histoire d’amour, avec cet homme d’abord, mais aussi avec la montagne.

C’est un récit super sensible et un témoignage que j’ai trouvé très puissant parce l’autrice se place à la verticale d’elle-même. On comprend qu’en fait, en grimpant, en s’élevant, elle a rencontré son être profond. Et c’est également une très très belle personne. Dans son livre, on voit également quelques photos d’elle et de son mari sur ces parois. En bivouac, à dormir à la belle étoile. On peut donc vraiment s’imaginer et se représenter ces situations d’escalade qui durent plusieurs jours. On grimpe un peu avec eux aussi.

Lauranne van Naemen

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Quel est le livre dans lequel tu aurais aimé vivre ?

Je vais commencer par lire un petit extrait.
« Au spectacle des hautes montagnes, je devinais aussitôt ce qu’elles offraient de joie à goûter, de rêves à caresser, de gloire à glaner. D’une façon inconsciente mais certaine, j’entrevis toutes les possibilités qu’offraient ce monde de roc et de glace où il n’y a rien d’autre à cueillir que des fatigues et des dangers. Je sentais tout le prix qu’aurait pour moi ces fruits inutiles qui ne se cueillent pas dans la boue, mais dans un écrin de beauté et de lumière. »

C’est un passage tiré de deux livres qui s’intitulent « Les Conquérants de l’inutile ». À nouveau, gros coup de coeur pour le titre. Lionel Terray, c’est un des plus célèbres alpinistes français du XXième siècle. Et c’est LE siècle où on a pu suivre la réalisation de grandes premières. Il restait encore énormément de sommets à gravir. Aujourd’hui, on les a un petit peu tous atteints. À l’époque, il y a avait ce côté exploration, ce côté découverte. Aujourd’hui, l’alpinisme se met d’autres défis. Mais celui-là, j’aurais bien aimé le vivre. 

Lauranne van Naemen

Un tout grand merci à Lauranne van Naemen de nous avoir ouvert une petite fenêtre sur ses inspirations et ses préférences en matière de lecture. On espère de tout coeur que vous aurez apprécié le voyage et que cette capsule vous aura donné envie de suivre de plus près le travail fabuleux de cette illustratrice ! N’hésitez pas à la rejoindre sur Instagram pour ne rien manquer de ses prochains projets. Quant à nous, on vous donne rendez-vous très bientôt dans un nouvel épisode d’Entre les pages !

Créativement vôtre,

Coco & Charlie