David Foenkinos, plume talentueuse de la rentrée mortuaire

Visage de la rentrée littéraire, David Foenkinos, encore en lice pour le Goncourt suite à la deuxième sélection, offre, avec Charlotte, un roman puissant, poignant, … et particulièrement morbide.
Retour sur son ouvrage de 2014 qui semble, toutefois, tant séduire.

 

Fervent admirateur de Charlotte Salomon, artiste peintre née au coeur de la Grande Guerre, David Foenkinos réitère l’expérience de la biographie romancée, quatre ans seulement après la parution de Lennon aux éditions Plon, et propose de narrer le destin tragique de cette jeune allemande. Alors que le monde commémore le centenaire de la guerre de 1914, son roman minimalistement nommé Charlotte, arrive donc à point nommé tout en prenant le contre-pied puisqu’il traite majoritairement du destin de l’artiste durant la Seconde Guerre mondiale.
Suite à des années de recherches, de prises de notes éparses et d’évocations de l’artiste, Foenkinos, diplômé de la Sorbonne, propose, enfin, aux éditions Gallimard une narration versifiée, organisée en strophes de longueurs variables:

” Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite. / Je me sentais à l’arrêt à chaque point. / Impossible d’avancer. / C’était une sensation physique, une oppression. / J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer. / Alors j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi.” (Charlotte, p.71.)

Ayant éprouvé un bonheur extatique à lire La delicatesse et Les souvenirs, respectivement parus en 2009 et 2011 chez Gallimard, je ne pouvais que me ruer sur cette oeuvre inédite.
Les deux cent-vingt et une pages dévorées, je demeure cependant aigre-douce face à cette nouveauté largement considérée de prometteuse.

La partie douce

D’une part, temps passés et présents se succèdent, Foenkinos insérant le besoin de mémoire qui le corrode au sein des passages décrivant l’auteur en pleine recherche.
L’alternance entre narrateur omniscient et écriture à la première personne mais également entre passé écrit au présent et présent narré au passé, véritables partis pris, désarçonne alors d’emblée. Toutefois, après quelques pages, l’oeil s’accoutume et ces variations inédites soufflent comme un vent nouveau sur la plume coutumière de l’auteur.
On se surprend même à guetter les interventions de l’écrivain, espérant obtenir davantage de commentaires au sujet de ses expéditions sur les traces de la petite Lotte.

D’autre part, le roman constitue un hommage bouleversant à Charlotte Salomon et à son oeuvre, souvent immémorée et reléguée aux sous-sols des musées. Si bien, qu’à la suite de ma lecture, un seul désir me taraude: la découvrir davantage, en m’envolant vers Villefranche-sur-mer ou encore en harcelant les musées commémoratifs, avec, pour seul dessein, pénétrer son travail qui semble mêler, avec délices, le pinceau et la plume.
En effet, avant l’artiste, c’est une personne particulièrement touchante que décrit Foenkinos, de par son histoire familiale ou personnelle notamment.
Et c’est peut-être bien là, au coeur de l’abominable destin de sa famille que réside le noeud du problème.

La partie aigre

Bien qu’on ne puisse critiquer la plume particulièrement talentueuse de l’auteur, celui-ci jonglant mieux que personne avec les subtilités de la langue française, ses thématiques redondantes ne peuvent, quant à elles, qu’essuyer les plus viles réprobations.
Largement abordés et traités au sein de La délicatesse ou Les souvenirs, les thèmes de l’amour impossible mais, surtout, de la mort intrisèquement liés font ici lieu de refrain particulièrement entêtant.
Pire, la thématique mortuaire, base incontestée de la trame narrative, est notablement mise en exergue (et c’est un euphémisme).
Le roman atteint l’apogée du morbide lors des différentes descriptions des suicides familiaux (fort nombreux, qui plus est), Foenkinos s’apparentant alors aux Sénécal, Masterton et autres Stephen King.
L’auteur ayant conservé ce qui lui restait de pudeur à la deux-cent onzième page, nous pouvons presque nous estimer heureux de ne pas trouver davantage de détails dramatiques sur les conditions de l’abominable mort de Charlotte Salomon.

Hommage poignant à Charlotte Salomon et témoin de la virtuosité de la plume de l’auteur, le roman n’en demeure pas moins particulièrement de saison: le dernier Foenkinos pourrait, dès lors, facilement être rangé, faute de bibliothèque, entre une gerbe mortuaire et un pot de chrysanthèmes.

Coco