Macaroni !, ce n’est pas la dernière osteria à la mode. Ce n’est pas, non plus, une énième marque industrielle pseudo-italienne. Macaroni !, c’est d’abord une insulte. Un sobriquet dénigrant, dont on affuble les émigrés italiens de l’époque. Désormais, c’est aussi, et surtout, une merveille du neuvième art.
Macaroni !, une ode à l’émigration italienne par Thomas Campi et Vincent Zabus
Roméo a onze ans. L’âge où l’on se délecte davantage d’un dessin animé à la télévision que d’une semaine à Charleroi chez un grand-père qu’on connait à peine. Pour Roméo, c’est un “vieux-chiant”. Il est vrai, Ottavio râle volontiers. Et jamais, au grand jamais, il ne rit. Sauf peut-être quand poussent, dans son jardin, les verts raisins.
Alors, quand son père lui annonce qu’il l’abandonne une semaine chez son grand-père, Roméo fait grise mine. Le voilà emprisonné en enfer.
Pourtant, cette semaine de vacances va, grâce à la petite voisine Lucie, s’avérer bien plus surprenante qu’il ne l’imaginait. De longs après-midis durant, elle l’initie aux souvenirs familiaux. Elle lui parle de son nonno, de l’immigration, de la mine, levant progressivement le voile de l’ignorance. Et si le silence qui pèse sur ces trois générations d’hommes s’apprêtait à être brisé ?
Crash-test d’un Macaroni !, cottura 30min.
Quand on nait à Charleroi et qu’on grandit à Morlanwelz dans les années nonante, la majeure partie de nos amis est inévitablement belgo-italienne. La troisième génération, comme on l’appelle “chez nous”. Notre famille, elle-même, bénéficie de ce merveilleux métissage méditerranéen. On passe des dimanches entiers autour de la table, et parce que Nonna n’aime pas le gaspillage, on mange à s’en faire exploser l’estomac. Entre deux bouchées de pasta fresca et un “Bois ceci, ma fille. Le vin, c’est la culture”, ça parle avec les mains. Ça sent bon comme là-bas, ça raconte des histoires en patois. On les a déjà entendues mille fois. On les connait par cœur. La deuxième génération radote. Fière de ses origines et du bagage transmis par leurs parents. Nos grands-parents. La première génération. Celle-là même qui, au début du XXe siècle, fuyait la famine italienne pour l’Eldorado belge. L’Eldorado noir. À six pieds sous terre.
J’avoue avoir essuyé une larme en refermant l’ouvrage. Elle roulait sur ma joue, comme une pierre de rocaille dans la montagne abruzzese. Plus qu’une bande dessinée, il s’agit presque d’un album de famille. Le respirateur, les tomates. Et des souvenirs. Terreau de trois générations, intrinsèquement liées par l’amour de la patrie perdue. Et l’inaliénable lien du sang.
Est-ce pour cela que Thomas Campi et Vincent Zabus ont su me toucher en plein cœur ? Oui, et non.
Oui, car ils ont su capturer l’instant. Mieux, les souvenirs. La bande dessinée n’apprendra rien aux émigrés italiens qui plongeraient dans ses cases. Bien mieux qu’un scénario didactique, celui-ci est suggestif. En deux mots, en trois traits : on sait. On se souvient. Chaque case est un merveilleux hommage rendu à ces mineurs. À ces doigts perdus. À ces poumons noirs. Aux actes manqués. Mais surtout aux rêves déchus.
Et non. Parce que son caractère poétique ne se borne pas à la seule thématique. La finesse du trait, propulsée aux sommets du Gran Sasso par une couleur directe au paroxysme de la maîtrise, émeut.
La quatrième de couverture nous annonce une semaine de vacances dans une ville grise de Belgique. Du sombre Charleroi, hormis sa silhouette qui se détache sur un ciel poussiéreux, il n’en est rien. Les briques rouges des maisons minières, les tapisseries fleuries : tout chante le sud. Et sous le talent de Campi et Zabus, le Pays noir rayonne.
Au détour d’une planche, on se retrouve face à une case en trois-quart page. Assis sur son lit, pris de désarroi, le train des souvenirs d’Ottavio s’échappe. Merveilleuse métaphore de la maladie d’Alzheimer. Celle qui gangrène les souvenirs, les transformant bientôt en fantômes. Vides et insaisissables.
En écrivant ces quelques mots, je frissonne encore. Je revois ces ombres, descendant par l’ascenseur de service. Des personnes qui nous ont portées. Et qui, désormais, nous hantent. J’ai refermé l’ouvrage hier soir. Et la chair de poule persiste. Un pari réussi, comme un 11-0 à la scoppa.
Informations complémentaires
Macaroni !
Collection : Dupuis “Grand Public”
Scénario : Zabus
Dessin : Campi
144 pages couleur, 24€, en vente ici et, surtout, chez votre libraire préféré !
Italiennement vôtre,
Coco
Les dessins me plaisent beaucoup !
Et ce n’est qu’un échantillon des premières planches… La suite est à couper le souffle ! 🙂
[…] nous d’inaugurer une nouvelle catégorie d’articles destinés au Pays noir – auquel notre critique de Macaroni ! faisait déjà écho. L’objectif pour nous ? Mettre en avant les différentes […]
[…] chronique de Coco, Moka, Caro, Yvan et […]
[…] Plumes de C […]