À l’occasion de la sortie de “Pourquoi pas la vie” (éd. L’Iconoclaste), nous avons rencontré la talentueuse Coline Pierré. Nous avons plongé dans les méandres de la conception de son ouvrage et nous avons exploré sa bibliothèque particulièrement fournie.
Le nom de Coline Pierré ne vous sera peut-être pas inconnu si vous avez récemment flâné dans les rayons de littérature jeunesse. Elle a publié plusieurs romans très réussis abordant avec finesse des thématiques cruciales propres aux adolescents. Coline a également publié un essai, Éloge des fins heureuses, et elle signe ici un premier roman magistral chez L’Iconoclaste.
Le Pitch
Durant l’hiver 1963, à Londres, Sylvia Plath, jeune poétesse virtuose, vit seule avec ses deux enfants. Séparée de son mari, Ted Hugues, un poète de renom, dont la carrière a toujours primé sur la sienne, tiraillée entre son rôle de mère et son désir de liberté, elle ne cesse de tomber malade. Un matin, rongée par la solitude et le désespoir, elle met sa tête dans le four et meurt intoxiquée par le gaz. Elle avait trente ans. Ça, c’est ce qu’il s’est réellement passé.
Oui, mais. Coline Pierré ne l’entend pas de cette oreille. À travers ce roman profondément solaire et jubilatoire, elle redonne vie à cette poétesse si brusquement partie. Elle lui invente un destin parallèle, celui où elle rend les coups, celui où elle ne se laisse pas faire, celui où elle s’émancipe. L’autrice nous livre ici la quête identitaire d’une talentueuse poétesse qui voudrait pouvoir concilier tous les rôles de sa vie. Peu à peu, dans l’Angleterre des Swinging Sixties, Sylvia se libérera du joug masculin, et goûtera avec autant de plaisir et d’intensité l’écriture, la maternité, le bonheur et le succès.
Le coeur de ce livre résonne avec tant de justesse avec les enjeux actuels auxquels une immense majorité de femmes sont encore confrontées qu’il est difficile de résister à la force d’empouvoirement de Sylvia. Jubilatoire. Optimiste. Nécessaire.
Sous la plume
Pourquoi avoir traité la biographie de Sylvia Plath par le prisme de la fiction ?
J’avais envie d’écrire un livre sur Sylvia Plath depuis dix ans. Au début, j’ai commencé à écrire une biographie mais je me suis vite rendue compte que je n’avais rien d’autre à dire, en gardant cette forme, que ce qui avait déjà été écrit dans les biographies existantes.
Il y avait déjà des biographies hyper documentées mais également des biographies poétiques… et je ne voyais pas à quoi cela allait servir d’en rajouter une couche.
J’ai donc mis ce projet de côté pendant longtemps. Et puis, j’ai eu cette idée de parler de Sylvia Plath par le prisme de la fiction et ainsi dire ce que j’avais envie de dire d’elle. La raconter comme je la voyais : avec sa force de vie, son humour, … Car pour transmettre cette énergie que je voyais en elle, il fallait que je la raconte vivante, littéralement. C’est donc à ce moment-là que j’ai décidé d’écrire une vie possible qu’elle aurait pu avoir.
Quel est ton positionnement quant au côté “touche à tout” de Sylvia dans sa carrière d’écrivaine ? T’identifies-tu à elle sur le plan professionnel ?
Je m’identifie effectivement beaucoup à elle. Je m’identifiais d’ailleurs déjà à elle quand j’avais vingt ans, lorsque je l’ai découverte, car elle aborde énormément ses doutes et ses difficultés à écrire dans ses différents journaux. Elle parlait déjà de ce mélange ambigü entre son ambition et le sentiment d’imposture. Elle ne le nomme pas expressément mais il est très présent.
En la retrouvant à 35 ans, je me suis davantage identifiée à la Sylvia écrivaine : celle qui écrit mais qui veut tout faire en même temps, se perdant dans le désir qui dépasse tout à fait le temps dont elle dispose. Car elle ne veut pas qu’écrire : elle souhaite également être mère, avoir une vie de femme, d’amante, … Et je me retrouve tout à fait dans cette situation contradictoire.
Ce livre est profondément contemporain puisqu’il traite notamment de la difficulté de gérer toutes les casquettes d’une vie de femme mais également de se libérer du joug de toutes ces injonctions faites aux femmes. On retrouve en fait toutes les thématiques qu’on évoque actuellement dans les milieux féministes, y compris le féminisme intersectionnel avec son expérience en tant que serveuse. As-tu apporté cette touche contemporaine de manière consciente ?
Le côté contemporain s’explique par le fait que j’ai écrit entre 2019 et 2022, alors que je lisais des tonnes de livres sur le féminisme. Les questions féministes sur l’amour ou encore sur les littératures féminines explosaient alors, et ça a forcément infusé dans mon texte. J’avais envie de montrer que cette histoire qui a soixante ans est toujours contemporaine et résonne toujours à l’heure actuelle. Même si on déconstruit un certain nombre de choses, on a toujours certaines contradictions qui nous bloquent, qui nous hantent et dans lesquelles on s’emmêle.
Je me suis par ailleurs permis un certain nombre d’anachronismes, notamment pour ce qui est du féminisme intersectionnel : ça existait dans les années soixante mais pas en ces termes. Et ce n’était pas quelque chose dont Sylvia Plath était consciente.
Mais j’ai utilisé le personnage de Greta comme la voix du futur : c’est elle qui ramène 2022 en 1963 et glisse les questions que nous allons nous poser soixante ans plus tard.
Entre les pages
Quelle lectrice es-tu ?
Je suis une lectrice désordonnée et très infidèle. Je lis plein de livres en même temps, ce qui fait que je les perds. Parfois, je les retrouve des années après et je poursuis ma lecture. Parfois, je les oublie et je ne les termine jamais. J’ai énormément de mal à me fixer sur une lecture.
Et puis, énormément de livres me font envie et j’achète bien plus de livres que je ne suis capable de lire, ce qui fait que je suis continuellement sollicitée.
Par contre, je ne suis pas une lectrice très doloriste : si je m’ennuie, je laisse tomber. Ce qui fait qu’il y a énormément de classiques que je n’ai pas lu…
Quel est ton genre de prédilection ?
Je lis plutôt des romans contemporains et réalistes. Mais je crois que les livres qui me plaisent le plus sont ceux qui amènent un peu d’étrangeté, de fantastique : de l’excès dans le réalisme. J’aime également qu’il y ait quelque chose de politique, que ça défende un point de vue sur le monde.
Le tout premier livre qui t’a fait aimer la lecture ?
J’ai lu énormément de classiques de BD franco-belge quand j’étais enfant. Mais le vrai plaisir boulimique dont je me souviens, c’était la collection Chair de poule de fantastique, voire d’horreur, pour enfants.
J’en ai lu des tas et j’ai vraiment ressenti ce plaisir de la lecture. C’est également la première fois que j’ai compris qu’il y avait un auteur derrière le livre. J’avais d’ailleurs envoyé une lettre à R. L. Stine pour lui dire que j’adorais ses livres.
Quel est le livre qui t’a donné envie d’écrire ?
Il y en a plusieurs…
Mais mon plus gros choc littéraire ça a été Boris Vian, que j’ai découvert quand j’étais adolescente. Je suis tombée sous le charme de son inventivité, de sa poésie partout et de ses métaphores filées qui peuvent tenir pendant tout un livre. Il se permet l’excès, l’absurde, la bizarrerie. Et il le fait avec un tel réalisme que ça fonctionne complètement.
C’est ce que j’aime lire… et donc c’est un peu ce que j’essaie d’écrire.
Quel est l’auteur ou l’autrice qui t’a donné envie d’écrire pour la jeunesse ?
Ce n’est pas très original mais c’est Roald Dahl. Comme Vian, il a la capacité de mélanger le réalisme à l’étrangeté, à l’absurde et à la bizarrerie.
Un autre livre qui m’a vraiment marquée étant ado, c’est La confusion des sentiments de Stefen Zweig. Ce fut un véritable choc esthétique. Il a une capacité, dans sa plume, à pointer notre attention sur des regards, sur une main qui bouge,… C’est porté sur des sentiments, des sensations et c’est extrêmement fin. J’ai été complètement impressionnée et ça m’a vraiment appris ce que l’écriture était capable de faire.
Le dernier livre qui t’a chamboulée ?
Les Nuit bleues d’Anne-Fleur Multon qui est sorti en janvier. C’est également une autrice jeunesse et, comme moi, c’est son premier roman pour adultes.
C’est une histoire d’amour lesbien durant le confinement. Ça se passe bien, il n’y a pas de tragédie. C’est juste très beau et empli de poésie. Et ça réhabilite la romance dans tout ce que ça apporte comme force.
Le livre qui te fait le plus voyager ?
Les femmes aussi sont du voyage de Lucie Azema. C’est un essai sur les femmes et le voyage. Ça traite des premières aventurières, de l’autrice qui a énormément bourlingué et de la manière dont elle vit ses voyages en tant que femme, …
Le livre que tu aurais aimé écrire ?
J’aurais beaucoup aimé écrire Matilda de Roald Dahl. Ce livre a tous les ingrédients des livres que j’aime : l’humour, la cruauté, le fantastique… et en prime, il parle de littérature.
Le livre que tu offrirais à quelqu’un pour le convaincre de l’importance du féminisme ?
Il y en a plein. Mais s’il fallait n’en choisir qu’un, ce serait Le Génie lesbien d’Alice Goffin. C’est un livre qui nous explose à la figure, qui est hyper riche et très bien référencé. J’ai beaucoup aimé la partie sur les médias, dans laquelle elle traite des mécanismes de silensiation et d’invisibilisation des femmes. C’est un des livres les plus forts que j’ai lus ces dernières années.
Quelle est l’autrice que tu aimerais mettre à l’honneur ?
Sylvia Plath… évidemment.
Mais ce serait trop facile. Alors je vais mettre à l’honneur Anne Sexton, une autre poétesse américaine qui vient d’être traduite pour la première fois en français par Sabine Huynh. L’ouvrage s’intitule Tu vis ou tu meurs. C’était d’ailleurs une amie de Sylvia Plath, qu’elle a rencontrée dans un atelier d’écriture.
Il y a toute suite eu une sorte de concurrence entre elles : elles avaient toutes les deux énormément de talent mais également des personnalités très fortes. Elles font toutes deux partie du même courant de poésie confessionnelle : on sort des thématiques grandiloquentes de la poésie et on parle de l’intime, du corps féminin, … Elles s’emparent ainsi de sujets qu’on considérait alors très triviaux et en font de la poésie.
Pourquoi pas la vie, Coline Pierré
L’Iconoclaste roman
320 pages – 19€